Qui, mieux qu'un jeune en phobie scolaire, peut décrire la phobie scolaire ?

La phobie scolaire, quand les adultes la décrivent — sauf à l'avoir eux-mêmes vécue — n'est pas toujours bien expliquée. Les mots des jeunes reflètent la réalité de ce qu'ils vivent, subissent, ressentent. Quatre questions simples (enfin, pas si simples que ça !), une matinée entière de discussion fournie et riche en émotions : c'est l'atelier d'échanges du jour à l'accueil de La Compagnie des Zébrés. Précisons que les propos rapportés ci-dessous n'ont pas été retouchés.
Ils sont 8 ce matin, lovés dans les canapés. Aucun d'entre eux ne sait de quoi nous allons parler. C'est intentionnel de notre part : sans avoir eu le temps de
préparer leurs réponses, la parole brute de ces jeunes est sincère et spontanée. Ils ont entre 14 et 19 ans. Pas facile pour eux de parler de ce qu'ils ont vécu — et vivent encore — tant
ils sont habitués à n'être ni écoutés ni entendus, encore moins compris.
Pourtant, dans ce lieu particulier, ils se laissent aller à livrer leur vérité, avec leurs mots.
Quels sont vos "mots-clés" pour décrire votre phobie scolaire
Les causes
"L'école n'a pas de sens. Les profs sont indifférents aux individus qu'ils ont en face d'eux ; ils ont une "classe", avec trop
d'élèves. C'est pas leur faute, mais c'est nous qui payons. À l'école, c'est la compétition, alors qu'on devrait s'y épanouir.
Il y a trop de
bruit, le temps est trop long. On s'ennuie, les cours ne vont pas assez vite. Les profs ne sont pas top, incapables de nous passionner.
Rien qu'à l'idée de rester enfermé dans une salle, ne pas pouvoir bouger alors que mon corps en a besoin, ça me rend fou. L'école, ça demande tellement d'adaptation
qu'on est épuisé en permanence.
Le rythme de l'école, c'est inadapté ; à quoi ça rime de rester 8 heures en classe à apprendre des trucs qui vont servir à quoi ? Qui nous l'explique ? En plus, on pourrait apprendre en 2 heures ce qu'on nous balance en 8 heures. Pourquoi c'est aussi lent ?
Faut pas non plus oublier la pression parentale. Ils subissent autant que nous la pression de l'école et ils nous la font bien sentir aussi. Double peine, quoi."
Les conséquences
"On développe une vraie phobie, l'angoisse d'anticipation avant d'aller à l'école devient trop forte, elle ne peut être que négative. L'anxiété s'installe, elle est là tout le temps.
Moi j'ai développé des troubles alimentaires ; moi des maux de crâne quasi permanents et les problèmes de santé qui vont avec.
J'ai ressenti très fort le rejet, le jugement permanent, la compétitivité avec les autres et une grande solitude. J'avais envie de mourir, tout le temps.
L'angoisse est permanente, je n'arrivais plus à m'adapter au rythme, aux bruits, à la lenteur. Le bruit me faisait souffrir, physiquement, surtout celui de la cantine. On se sent tellement différent qu'on ne sait pas quelle est notre place. Plus rien n'a de sens et on n'a plus d'envies.
Finalement, on finit par développer une phobie scolaire. Je ne suis pas sortie de chez moi pendant trois années. C'est terrifiant de sortir, d'aller où que ce soit. On n'est pas en sécurité. Et faut pas oublier : c'est les insomnies qui s'installent. On ne dort plus, ou peu. On angoisse de devoir dormir. On finit par inverser notre sommeil."

Quel bénéfice attribuez-vous à votre phobie scolaire ? Qu'avez-vous gagné depuis que vous n'allez plus en classe ?
"J'ai plus de temps pour faire ce que j'aime (sport, magie, dessin, lecture, etc.). J'ai le temps de trouver ce qui me fait réellement vibrer au lieu de faire ce que m'imposent les autres. J'ai plein de temps pour m'occuper de mes chiens. Je décide moi-même du rythme de mes journées. Je peux aller voir des événements qui se passent près de chez moi.
Je ne vois que les gens qui m'intéressent. Ceux de "là-bas", je ne suis plus obligé de les fréquenter, ni les profs ennuyeux. J'ai pu avoir plus de temps pour moi et je peux le mettre dans autre chose (Genshin par exemple).
On a le temps de découvrir quelles sont nos passions. À l'école, on n'a pas le temps. On a le temps de voyager, d'aller à la rencontre de lieux
qu'on n'aurait pas vus autrement.
On a aussi l'occasion et le temps de découvrir qui on est, de se poser des questions sur soi-même avant d'intégrer le monde du trvail. On prend de l'avance par rapport aux autres. On découvre qui
on est derrière le masque qu'on se fabrique à l'école. J'apprends à m'écouter et à me trouver plus tôt que les autres. Je sais maintenant ce qui ne me convient pas.
On apprend à gérer son autonomie, à ne pas se laisser déformer par le système. On a du temps libre, on prend conscience de que peut être la liberté. Je vois la vie autrement.
J'ai découvert l'association et je rencontre des gens comme moi, qui comprennent ce que je vis, qui savent vraiment m'écouter et m'aider.
Bah, on a quitté un système dit "normal" pour un autre encore plus éclaté au sol (le CNED), mais on peut travailler quand on veut. Plus d'horaires imposés."
Vous êtes ministre de l'Éducation nationale, quelle est votre première réforme ?
"Je détruis la cantine. Je supprime l'école, on crée un autre système. On copie le modèle danois. Je crée une école qui s'adapte aux enfants, pas l'inverse ; j'adapte l'école aux besoins actuels de la société. Je laisse les jeunes créer leur emploi du temps. Les profs se mettent à la disposition des jeunes et ils adaptent les apprentissages à chaque jeune.
Je développe la morale et l'éthique chez les jeunes pour éradiquer le harcèlement et tout ça."
Dites ce qui, à l'heure actuelle, est le plus difficile à surmonter pour vous
" On n'a plus de reconnaissance. C'est dur de trouver des amis, des vrais. Je dois gérer des ressentis différents de ceux d'avant. Je me sens
marginal. La différence avec les autres est pire. Se confronter au jugement, c'est dur.
Je m'ennuie. Il n'y aucun but à atteindre. Le plus difficile,
c'est de trouver la motivation de faire des choses.
Je n'ai plus confiance en rien ni en personne. C'est pas facile de retrouver un équilibre qui soit bon pour moi. C'est pas évident d'apprendre à se connaître quand
on est seul. la solitude, ça devient dur de gérer ça au quotidien, j'ai constamment l'impression d'être observé et jugé quand je suis seule.
Poursuivre un cursus normal, c'est quasi impossible. Le CNED, c'est pas adapté à nous, mais on n'a pas trop le choix."

Quel message voudriez-vous adresser au monde ?
"Réforme scolaire ASAP ! Réclamer que les cours soient faits pour les jeunes du XXIe siècle !
Accrochez-vous ça va secouer !
Croyez en vous. N'attendez rien des autres. Ne vous laissez pas faire.
Apprenez à communiquer (on y travaille ici) et à accepter qui vous êtes. Ne vous laissez pas de côté, ne vous oubliez pas. Ne doutez pas de vous.
Occupez-vous de la santé mentale. Elle n'est pas moins importante que la santé physique."
Conscients de la responsabilité qui est la nôtre, nous accueillons ce que nous disent ces jeunes. Tout n'a pas été dit, bien sûr. Il y a des vérités difficiles à mettre en mots. Mais écoutons-les et, surtout, prenons-les au sérieux. Leur lucidité est comme un joyau caché dans un écrin, enfermé dans un coffre de banque. Elle ne demande qu'à être mise au jour pour que le monde en profite pleinement.