
Mardi, 9 heures. Rocío, Sophie, Pierre-Yves passent la porte. Ils s’apprêtent à passer trois heures en compagnie d’adolescents pas tout à fait
comme les autres.
E., J. et A. ont un truc à part : ils ne fréquentent plus d’établissement scolaire. Leur point commun : ils ont quitté les bancs de l’école parce qu’ils sont « en situation de
phobie scolaire* ».
Nos trois ados passent la porte à leur tour. On installe les ordinateurs (pas vraiment des chevaux de course ces ordis. De vieilles carnes reconditionnées avec amour et gracieusement par Robert, mais ils fonctionnent !), on se donne des nouvelles et on ouvre les sessions du CNED. Pas de cours du CNED ? Qu'à cela ne tienne, on leur concocte des jeux, des recherches à faire, des quiz…ils ne repartent pas sans avoir appris quelque chose.
Les domaines de Rocío : la physique-chimie, les maths, l'espagnol, les sciences, Sophie ou Pierre-Yves : français, l’histoire-géo, l’anglais, et autres…
Pas question de faire les devoirs à leur place, ni de leur délivrer des cours. Le but, c’est de les rendre autonomes dans le travail. On suggère,
on dirige la réflexion, on les amène à se corriger eux-mêmes. Ils échangent leurs trucs et leurs savoirs . Le fait de ne pas être seul, d’avoir quelqu’un de bienveillant à leur côté fait
baisser leur niveau d'angoisse. Et, surtout, ils peuvent prendre leur temps, avancer à leur rythme.
Quand la fatigue se pointe, ils arrêtent, vont boire ou manger, vont faire un tour dehors, jouent quelques minutes sur leur téléphone…tout ce qui peut leur faire récupérer de l’énergie. Toutes
ces choses qui leur sont impossibles en classe.
Au bout d’une heure trente, pause obligatoire, tant pour les adultes que pour les ados : rien ne sert de s’épuiser, il faut travailler efficace.
Chocolat chaud, jus de pomme, biscuits au chocolat (oui, ils sont très chocolat !), café pour les grands, papotages, tours de magie offerts
par J. E. ne comprend pas comment il fait, essaie de lui soutirer ses « trucs », mais il résiste ! A., plus discret, les regarde, souris, parle jeux. Ce quart d’heure
d’échanges est un vrai bonheur, pour tous.
Ces jeunes, arrivés au début du mois de mars dans un état d’anxiété profonde, cramés de fatigue et de peurs diverses, au bout de deux mois, se sont détendus, ont gagné ces quelques heures de vie
sociale apaisées, joyeuses et studieuses.
Mettre à disposition un lieu et des personnes disponibles, qui les comprennent — étant souvent passées par un même parcours difficile — afin de rompre leur isolement et leur permettre d’avancer dans leurs études sans trop de douleur : tel était notre but en créant cet accueil. L’avons-nous atteint ?
Témoignages :
« Si vous n’étiez pas là, je n’aurais ouvert aucun livre ni fait aucun devoir, c’est sûr. » E.
« A. ne peut pas rester longtemps sans venir, ça lui manque. » maman d’A.
« Je sais ce que je vais faire après. J’arrive à envisager un après ! » J.
Ponctuellement, ils ont aussi bénéficié des conseils de professionnels : Anthony pour apprendre à s'exprimer à l'oral, Michaël pour envisager un avenir, Isabelle pour gérer leur anxiété. Par manque de temps, ce sont les seules activités qui ont pu leur être proposées. Bien d'autres sont possibles !
*Termes inadéquats pour des enfants hypersensibles, souffrant de troubles anxieux, en burn-out physique et émotionnel. D’efforts d’adaptation en efforts de
sur-adaptation, ces jeunes attachants, vifs, intelligents, ne peuvent plus passer le portail de leur école. Cramés par tout un tas de causes qui leur sont personnelles, c’est sur l’école que leur épuisement se cristallise, là qu’il s’exprime.
Pourtant, leur désir d’apprendre, leur curiosité, leur volonté de réussir est intacte. La seule solution qui leur est proposée pour continuer le cursus scolaire officiel : le CNED. Des cours numériques, devant lesquels ils se retrouvent seuls, souvent démunis, démotivés, angoissés d’être encore évalués, jugés. L’injonction de réussite les suit jusque dans leur chambre. L’anxiété gagne et les cours se font peu, au ralenti, ou pas du tout.